L’Institut du Québec (IDQ) vient de publier une étude approfondie sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’emploi au Québec. Cette publication a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans La Presse le mercredi 15 janvier, titrant sur les « L’intelligence artificielle menace 810 000 emplois au Québec » – un angle quelque peu alarmiste qui mérite d’être nuancé et contextualisé.
Cette étude arrive à point nommé pour enrichir notre compréhension de la transformation du travail par l’IA. À l’automne dernier, j’analysais les données de Statistique Canada qui nous révélaient qu’environ 60% des emplois canadiens seraient exposés à l’IA, tout en soulignant le fort potentiel de complémentarité pour près de la moitié d’entre eux. L’étude de l’IDQ propose maintenant une perspective différente et introduit un nouveau concept : celui des « emplois vulnérables ».
Là où Statistique Canada évaluait l’exposition à l’IA (le degré auquel un emploi pourrait être transformé par l’IA) et la complémentarité (le potentiel de synergie entre l’humain et l’IA), l’IDQ examine la vulnérabilité sous un angle plus large : celui de la capacité des travailleurs à s’adapter et à se réorienter professionnellement face à ces transformations. Ce changement de perspective mérite qu’on s’y attarde.
En parcourant l’étude, je me suis immédiatement interrogé sur ce terme de « vulnérabilité » qui revient constamment dans leurs analyses. Que signifie réellement être « vulnérable » face à l’automatisation, et en quoi cette approche diffère-t-elle de la simple mesure d’exposition à l’IA ?
Pour permettre au lecteur d’avoir une vue d’ensemble des impacts potentiels de cette transformation, j’ai regroupé à la fin de cet article l’ensemble des statistiques clés présentées dans l’étude de l’IDQ. Ces chiffres, qui touchent autant les secteurs d’activité que les groupes démographiques et les niveaux de scolarité, nous aident à mieux saisir l’ampleur et la complexité de cette transformation qui s’amorce au Québec.
Le concept de ‘vulnérabilité’ selon l’IDQ
Qu’est-ce qui rend exactement un travailleur ou un emploi « vulnérable » selon l’IDQ ?
La réponse s’avère plus complexe et intéressante qu’il n’y paraît. L’IDQ propose une définition à deux dimensions de la vulnérabilité, qui va bien au-delà du simple risque d’automatisation. Selon eux, pour être considéré comme vulnérable, un travailleur doit faire face à un double défi:
- Pour la première dimension de cette vulnérabilité, l’IDQ s’est appuyé sur les travaux largement reconnus de Frey et Osborne(2013), deux chercheurs d’Oxford qui ont développé une méthodologie permettant d’évaluer la probabilité d’automatisation des emplois. Selon cette approche, un emploi est considéré « à risque » lorsqu’il présente une probabilité supérieure à 70% d’être automatisé dans un avenir prévisible. Ces chercheurs ont notamment identifié trois types de compétences qui résistent naturellement à l’automatisation : l’intelligence sociale, la créativité, et la capacité à percevoir et manipuler l’environnement physique. Mais dans l’étude de l’IDQ, ce risque d’automatisation n’est que la première partie de l’équation.
- Le deuxième aspect, et c’est là que l’analyse devient particulièrement nouvelle, concerne la capacité du travailleur à se réorienter vers un autre emploi moins menacé. En s’appuyant sur les travaux de l’OCDE, l’IDQ considère qu’une transition est « acceptable » uniquement si elle répond à des critères stricts : pas plus de six mois de formation nécessaire, une baisse de salaire limitée à 10% maximum, des compétences similaires requises, et un domaine d’expertise commun avec l’emploi actuel. Si un travailleur dont l’emploi est menacé ne peut pas facilement effectuer une telle transition, il est considéré comme vulnérable.
Cette définition plutôt précise nous aide à comprendre pourquoi l’IDQ arrive à des proportions de populations différents de ceux de Statistique Canada. Ce n’est pas simplement une question de qui sera touché par l’IA, mais plutôt de qui risque de se retrouver dans une impasse professionnelle face à cette transformation.
Il est important de souligner ici un point crucial : parler d’emplois ou de travailleurs « vulnérables » ne signifie pas que ces emplois sont condamnés à disparaître, ni que ces travailleurs se retrouveront inévitablement sans emploi.
L’étude de l’IDQ nous présente plutôt une cartographie des risques, une sorte de système d’alerte précoce qui nous permet d’identifier où concentrer nos efforts d’adaptation et de formation.
La réalité qui se dessine sera certainement plus nuancée que ce que suggèrent les statistiques. L’histoire des précédentes révolutions technologiques nous l’a maintes fois démontré : les prédictions de pertes massives d’emplois se sont rarement concrétisées telles quelles. Les emplois évoluent, se transforment, et de nouvelles opportunités émergent. Un emploi considéré comme « vulnérable » aujourd’hui pourrait très bien se réinventer demain, intégrant l’IA comme un outil plutôt que comme un remplaçant.
Deux voies distinctes pour le déploiement de l’IA
L’étude de l’IDQ présente une perspective particulièrement éclairante sur la façon dont l’IA peut être déployée dans les organisations. Plutôt que de voir l’automatisation comme un phénomène uniforme, elle distingue deux voies fondamentalement différentes, illustrées dans le graphique ci-dessous :
L’IA complémentaire : Amplifier plutôt que remplacer
La première voie, celle de l’IA complémentaire, s’aligne parfaitement avec ce que je décrivais dans mon article précédent comme les rôles de « Collègue » et « Coach » numériques. Dans cette approche, l’IA devient un outil qui amplifie les capacités humaines plutôt que de les remplacer. Cette voie se manifeste de deux manières principales selon l’IDQ :
- Le soutien à la main-d’œuvre existante : L’IA agit comme un assistant qui permet aux travailleurs d’être plus efficaces et de se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée.
- La création de nouveaux emplois : L’intégration de l’IA génère de nouveaux besoins et donc de nouvelles opportunités professionnelles, que ce soit dans le développement, l’implantation ou l’utilisation avancée de ces technologies.
L’IA de substitution : La transformation des tâches
La seconde voie, celle de l’IA de substitution, correspond davantage à ce que j’appelais le rôle de « Commis » numérique. Elle vise à automatiser certaines tâches précédemment effectuées par des humains. Cependant, l’étude de l’IDQ nous rappelle que cette substitution :
- Est rarement totale pour un emploi donné
- Se fait généralement de manière progressive
- Peut être particulièrement pertinente dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre
L’importance du choix de la voie
Ce qui rend cette distinction particulièrement importante, c’est qu’elle souligne que l’impact de l’IA sur l’emploi n’est pas prédéterminé. Il dépend largement des choix que feront les organisations dans leur façon de déployer ces technologies. Une entreprise qui privilégie l’IA complémentaire aura probablement besoin d’investir davantage dans la formation et l’accompagnement de ses employés, mais pourra potentiellement créer plus de valeur en combinant les forces de l’IA avec l’expertise humaine.
Cette dualité des approches nous aide aussi à mieux comprendre pourquoi certains secteurs ou professions semblent plus « vulnérables » que d’autres. Ce n’est pas tant une question de sophistication technologique que de la facilité avec laquelle les tâches peuvent être soit complémentées, soit substituées par l’IA.
Dans mon expérience avec les organisations qui adoptent l’IA, celles qui réussissent le mieux sont souvent celles qui commencent par l’approche complémentaire. Elles utilisent l’IA pour renforcer leurs équipes existantes avant d’envisager toute forme de substitution, créant ainsi un environnement plus propice à l’innovation et à l’adaptation.
La formation comme pont vers l’avenir pour faciliter la mobilité professionnelle
Cette compréhension plus fine de la vulnérabilité nous permet de mieux cibler les interventions nécessaires. Là où mon article précédent parlait de l’importance de la « littératie IA« et de l’esprit critique, l’étude de l’IDQ nous semble indiquer que les organisations doivent aller plus loin. Il ne s’agit pas seulement de comprendre l’IA ou de savoir l’utiliser, mais de développer des compétences qui facilitent la mobilité professionnelle.
Les recommandations de l’IDQ reflètent cette compréhension approfondie. Il ne s’agit pas simplement de former les gens à l’IA, mais de créer des « ponts » de transition accessibles : des parcours de formation courts mais efficaces, des programmes de développement de compétences transversales, et des mécanismes de reconnaissance des acquis qui facilitent les transitions professionnelles.
Si mon article précédent insistait sur l’importance de la « littératie IA » et de l’esprit critique, l’étude de l’IDQ va plus loin en proposant des recommandations concrètes pour le système éducatif et la formation continue. Elle souligne notamment l’urgence de :
- Repenser les mesures d’aide à la formation pour les personnes en emploi
- Développer une offre de formation continue plus agile
- Intégrer systématiquement l’impact des technologies dans la planification de la formation
Une étude qui éclaire le chemin de la transformation
En examinant en profondeur cette étude de l’IDQ, on s’éloigne considérablement du message alarmiste qui a fait les manchettes. Au-delà des chiffres sur les emplois « vulnérables« , l’étude nous offre en réalité un outil précieux pour comprendre et naviguer la transformation qui s’amorce dans nos organisations.
L’introduction du concept de « vulnérabilité« , qui va au-delà de la simple exposition à l’IA pour considérer la capacité d’adaptation des travailleurs, nous aide à mieux cibler nos interventions. Cette approche nous permet de voir où concentrer nos efforts, que ce soit en matière de formation, de développement de compétences ou de réorientation professionnelle.
La distinction entre l’IA complémentaire et l’IA de substitution nous rappelle également que nous avons le choix dans la façon dont nous intégrons ces technologies. Les organisations peuvent opter pour une approche qui renforce et augmente les capacités de leurs employés plutôt que de simplement chercher à automatiser des postes.
Pour les dirigeants d’entreprises, cette étude offre un cadre de réflexion précieux. Elle permet d’identifier les secteurs et les emplois qui nécessiteront une attention particulière, tout en suggérant des pistes pour une adoption réfléchie et responsable de l’IA. Il ne s’agit pas tant de se précipiter vers l’automatisation que de planifier une transformation qui bénéficie à la fois à l’organisation et à ses employés.
Ultimement, l’étude de l’IDQ nous invite à voir la transformation par l’IA non pas comme une menace imminente, mais comme une opportunité de repenser nos approches du travail et du développement professionnel. C’est en comprenant ces nuances et ces possibilités que nous pourrons véritablement tirer parti de cette révolution technologique, tout en nous assurant qu’elle profite au plus grand nombre.
Les statistiques clés de l’étude de l’IDQ : Un portrait chiffré de la transformation
Volume et portée
- 810 000 Québécois occupent ou cherchent un emploi dans des professions vulnérables à l’automatisation
- Cela représente 18% de la main-d’œuvre québécoise
- 96 professions ont été identifiées comme vulnérables à l’automatisation
Impact par secteur d’activité
- Fabrication : 142 465 travailleurs vulnérables (le plus grand nombre)
- Commerce de détail : 118 425 travailleurs vulnérables
- Hébergement et restauration : 116 475 travailleurs vulnérables
- Soins de santé et assistance sociale : 72 220 travailleurs vulnérables
- Construction : 70 665 travailleurs vulnérables
Impacts démographiques
- Les jeunes de 15-24 ans représentent 13% de la main-d’œuvre mais 24% des travailleurs vulnérables
- 27% des adultes de plus de 25 ans sans diplôme occupent des emplois vulnérables
- Seulement 8% des diplômés universitaires occupent des emplois vulnérables
- Les femmes représentent 48% de la main-d’œuvre mais 52% des travailleurs vulnérables
Impact par niveau de scolarité
- Les détenteurs d’un diplôme d’études secondaires (DES) : 27% des travailleurs vulnérables
- Les détenteurs d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) : 22% des travailleurs vulnérables
- Les détenteurs d’un diplôme d’études collégiales (DEC) : 14% des travailleurs vulnérables
- Les détenteurs d’un baccalauréat : 8% des travailleurs vulnérables
Impact par catégorie professionnelle
- 59% des emplois dans la fabrication et les services d’utilité publique sont vulnérables
- 47% des emplois dans les ressources naturelles et l’agriculture sont vulnérables
- 25% des emplois dans la vente et les services sont vulnérables
- 27% des emplois dans le secteur des affaires, finance et administration sont vulnérables
Adoption technologique
- Seulement 12% des entreprises québécoises prévoient utiliser l’IA pour produire des biens ou livrer des services dans la prochaine année
- Les grandes entreprises sont plus susceptibles d’adopter l’IA que les PME
- Les secteurs des services professionnels et de la finance sont les plus avancés dans l’adoption de l’IA
Moov AI utilise l’IA générative pour créer ce blog.
Nous avons utilisé l’IA générative pour accélérer la production de ce blog. Pour le texte, un processus en plusieurs étapes a été suivi. NotebookLM a d’abord été utilisé pour analyser et extraire les points essentiels des deux études (Statistiques Canada et L’institut du Québec). Claude AI a ensuite été mis à contribution via sa fonctionnalité ‘projects’ pour enrichir la base documentaire, incluant les études, l’analyse comparative de NotebookLM et des articles de référence. Un premier échange avec Claude AI a permis d’explorer différentes structures possibles pour l’article. Une fois le plan choisi, une conversation approfondie avec Claude AI a guidé la rédaction des différentes sections, en s’assurant de maintenir la cohérence avec le style des articles précédents fournis comme référence. Mathieu a ensuite mis sa touche personnelle dans le texte.
Pour l’image, l’équipe marketing a utilisé MidJourney pour générer l’image d’en-tête à l’aide de ce message : « An abstract illustration used for a header of a blog about a framework for assessing the quality of artificial intelligence systems. Use overlapping translucent geometrical shapes symbolize the interconnected, multi-faceted nature of the framework. Use simple graphics. The mood is bright and optimistic. –ar 2:1 »
Directeur de formations chez Moov AI, Mathieu guide les organisations québécoises vers une productivité accrue grâce à l’apprentissage des technologies de l’IA. Fort de son expertise, il conçoit des formations innovantes visant à optimiser les processus et à cultiver l’excellence par l’intégration systémique de l’IA en entreprise.